L’interview a été réalisée par XofMdS :
Fel Barros est développeur chez CMON et aide les créateurs à trouver les failles et l’équilibre dans leurs règles. Il est aussi connu sous le pseudo de FakeDutch, notamment sur Board Game Geek.
1/ Quelle est ta référence de culture populaire absolue ? Et celle spécifique aux univers zombies
Je suis un grand fan du Guide du Routard Intergalactique (H2G2). Dans les zombies, je prendrais Resident Evil 4 sur GameCube, Zombie (Romero, 1978) au rayon des films et World War Z pour les livres.
2/ Quel genres de jeu aimes-tu ? Joues-tu à Zombicide ?
Avant de créer mes propres jeux, j’adorais les jeux « à l’européenne » (NDLR : grosso-modo « de gestion »). Après mes premières créations, je décidais d’élargir mes horizons et maintenant je joue à tout sauf aux simulations de guerre. Mes jeux préférés restent ceux avec énormément d’interactions entre les joueurs et où ces derniers ont une profonde influence sur le résultat de la partie.
J’ai un peu tâté de la saison 1 mais j’ai pris la totale de Black Plague, car j’accroche beaucoup plus au thème médiéval.
3/ Quelques mots sur toi ; et comment tu en es venu à travailler pour CMON ?
J’ai 33 ans et un enfant de 6 ans. Je suis un créateur et développeur de jeux, collectionneur de jeux et grand amateur d’ornithorynque. J’ai vendu deux de mes jeux à CMON (Looterz et Gekido), suite à quoi ils m’ont approché pour faire un peu de développement pour eux. A la fin, ils ont apprécié et je fus embauché quelques mois plus tard.
4/ Ces premiers développements concernaient-ils tes propres jeux ? Combien de jeux as-tu créés ? Dans le lot, combien en as-tu vendu ?
Non, mes premiers projets ne sont pas encore sortis. Le premier gros projet sur lequel j’ai travaillé fut « Le Monde De Smog : L’Ascension De Moloch ». J’ai développé 8 jeux et CMON en a acheté 2 jusqu’à présent (Looterz and Gekido).
5/ Lequel est ton « préféré » ?
J’ai le droit à un top 3 ?
Warzoo, inspiré du livre « La Ferme Des Animaux », qui était mon premier jeu et a une place spéciale. Gekido qui sort cette année parce que j’aime vraiment les jeux en interactions au rythme rapide. Et Space Cantina, où l’on place des dés, dans une veine plus européenne avec un thème très fort. Une mention honorable pour Looterz qui est sorti cette année et se retrouve publié dans plusieurs pays, dont la France, et d’autres à venir.
6/ Que fais-tu pour CMON, et sur le(s)quel(s) de leurs jeux travailles-tu (puisque tu ne travailles pas sur Zombicide) ?
En tant que Développeur Senior, ma tâche principale consiste à pousser les créateurs de jeu dans leurs retranchements, de trouver des failles ou des soucis d’équilibre qui doivent être corrigés. Parfois, nous mettons un peu plus les mains dans le cambouis (comme Guilherme et moi avons beaucoup fait sur Masmorra coopératif). Je mets aussi des nouveaux titres à l’épreuve, pour juger de leur pertinence dans la gamme de la société. A côté de ça, je travaille sur tous nos gros jeux, car ils nécessitent énormément de réglages. World of Smog, Massive Darkness, Godfather, Masmorra. Pour le moment, c’est Rising Sun qui m’occupe et m’excite particulièrement !
7/ Une petite avant-première pour nous au sujet de ce Massive Darkness ?
Je pense qu’il va plaire aux amateurs de Zombicide. Il n’y a pas tant que ça de mécaniques communes (hormis les tuiles et le mouvement) et il en ressort un côté Diablo, où l’on pille et hache et tranche. C’était notre première collaboration avec Guillotine et c’était fabuleux. Ils ont une vision solide de leurs jeux et une philosophie sur leur approche créative qui explique comment ils ont aidé à construire une aussi grande licence que Zombicide.
8/ Un élément de jeu dont tu es responsable et secrètement fier ?
En ce qui concerne un « secrètement fier », il n’y a pas de place pour l’ego ou nous ne pourrions pas faire ce boulot, mais je suis à l’origine de quelques compétences sympas de ma classe préférée, le Barbare, et j’ai aidé à faire quelques scénarios bien marrants. Massive Darkness a demandé beaucoup d’efforts à beaucoup de monde et je suis fier d’appartenir à l’équipe qui a contribué à finaliser le jeu.
9/ Comment décrirais-tu un jour typique de FakeDutch ? Une semaine typique ?
Le développement se fait par équipe. Nous sommes 5 à présent, chacun en charge d’un jeu. Donc nous avons l’habitude de nous faire énormément de retours, mais un jour typique inclut des parties de test, de remplir des tableurs et de documenter tout ce que nous faisons. Il y a aussi pas mal de prototypage et des appels via Skype et des discussions en ligne avec les créateurs à propos de certains de nos choix, de nos essais.
Parfois, j’arrive et je dis « salut, j’ai planté ton jeu, pardon », et je repars réparer le truc qui se mettait en travers du chemin. Nous essayons de jouer autant que possible, ce qui donne 2-3 sessions de jeu pour une semaine typique, qui suivent des sessions de test à la même fréquence, remplir les suivis et procéder aux changements repérés après suffisamment de temps.
10/ Travailles-tu avec Thiago ?
Oui ! Thiago est le producteur et nous plaisantons sur le fait que c’est lui qui met un frein aux rêves des développeurs. Quelques fois, on va le voir et on demande « salut on peut avoir un jeton en plus qui fait ça ? » « Non ! » Le développement est centré sur le produit et les producteurs s’assurent que nous maintenons le produit intact et comme attendu. Il est producteur du jeu Rising Sun, pour lequel je suis développeur en chef, alors nous travaillons énormément ensemble ces derniers temps.
11/ Il y aurait donc un noyautage de CMON par les brésiliens ? Blague(s) à part, penses-tu qu’il y ait des influences brésiliennes sur la manière de penser les jeux sur lesquels tu travailles ?
Il y a l’expression « Gambiarra » (NDT : bricolage, rafistolage) au Brésil. Le dictionnaire urbain le définit ainsi : « Une expression brésilienne. Elle signifie d’improviser méthode et solution avec ce qu’il y a sous la main, pour corriger le problème. »
Une espèce de McGyverisme, de bidouille, de réparation rapide, d’ingénierie alternative, de contournement, etc.
Je ne suis pas familier avec toutes les cultures, mais au Brésil, dans le cadre d’un processus de développement, nous avons tendance à plutôt rechercher des solutions qu’à regarder le problème. Avec « Gambiarra », nous corrigeons le problème aussi vite que possible pour continuer à jouer. Parfois c’est un autocollant utilisé au lieu de réimprimer un plateau entier, ou un morceau de texte improvisé pour ne pas réimprimer des cartes et nous allons sciemment faire un choix inadapté, uniquement pour tester quelque chose dans un délai plus rapide.
Un autre aspect important de notre culture et cette faculté innée à se mélanger et se comporter avec les autres comme s’ils étaient des amis de longues dates seulement après un peu de temps. Quelques européens et nord-américains sont perturbés par cette « intimité » mais dans le secteur du jeu, c’est pratique pour faciliter le travail entre développeurs et créateurs.
12/ Quel sorte de Survivant serais-tu ?
Celui que je souhaite incarner dans la plupart des explorations de donjons, la folle machine à tuer des zombies assoiffée de sang qui va probablement mourir en premier (mais j’en emporterais avec moi !).
Ceci clôt notre entrevue et je te remercie vraiment d’avoir accepté et d’avoir été à la fois compréhensif et précis.