Un bref silence, puis le grattement reprend. Insistant, régulier, comme… mécanique. Recroquevillée dans le coin le plus éloigné de la fenêtre, Lina frissonne. Elle resserre les pants de son manteau déchiré contre ses genoux, et soupire profondément. Un centième regard vers l’écran de son portable lui apprend qu’Adrian n’a toujours pas tenté de la joindre. Parti depuis ce qui lui semble des heures, le jeune garçon n’a peut-être pas pu trouver d’aide. Peut-être même… Non ! Lina ferme les yeux et serre les poings contre ses paupières. Ne pas imaginer le pire, ne pas laisser ses pensées angoissées effilocher le peu de courage qu’il lui reste. Adrian est rusé, rapide et habitué à la vie dans la rue. Il sait être prudent, il… n’a que quatorze ans. Et Dieu seul sait combien de ces choses parcourent les rues de la ville abandonnée.
En à peine quelques jours, la ville entière et ses environs ont cessé de respirer. Heure après heure, les habitants ont évacué, emportant avec eux le peu de choses qu’ils pouvaient transporter. Les rues encombrées de véhicules abandonnés semblent n’attendre qu’un signal pour revenir à la vie. Même les pillards ont fini par partir. Les vitrines brisées des commerces s’ouvrent sur des espaces saccagés, des étagères renversées, et une odeur, une odeur si nauséabonde que Lina ne se souvient pas d’en avoir connu de telle avant. Une seule espèce se réjouit de son nouvel environnement.
Les rats, par milliers, ont envahi la ville, sortant comme par magie de tous les recoins.
Avant, Lina adorait les rats. Elle en avait même eu un à quinze ans, un joli rat blanc qu’elle avait en quelque sorte imposé à ses parents, avec sa cage immense et tous ses accessoires.
Avant, elle trouvait si jolies leurs petites pattes roses, et leurs attitudes. Elle adorait regarder Archimède grignoter une graine, assis sur ses pattes arrières comme un petit écureuil.
Le son cristallin de son portable la sort brusquement de ses pensées. Réglé au minimum pour éviter d’attirer l’attention, l’appareil n’émet qu’un faible son, mais Lina sursaute et regarde avidement l’écran.
« J ARIV AI TROUVE 2 L AIDE TIEN BON LINA !! »
Les battements affolés de son cœur peinent à ralentir, et pourtant le soulagement l’envahit. Adrian n’est pas… Il va bien, il a toujours son portable et il a trouvé de l’aide !
Un craquement sec du côté de la fenêtre relance la course effrénée dans sa poitrine. Le chambranle commence à céder, du plâtre tombe par petits morceaux sur le lavabo en dessous. Se redressant d’un bond, Lina cherche du regard une arme pour se défendre. La salle de bain où ils s’étaient réfugiés plusieurs heures plus tôt leur avait semblé l’endroit idéal, la seule ouverture vers l’extérieur étant cette lucarne étroite et grillagée, qui paraissait si solide ! Mais question armes improvisées, le choix est limité. Lina s’imagine tenir un zombie à distance, armée d’un balai à chiottes… Elle en rirait presque si elle n’était pas si terrifiée.
Un instant elle envisage de repousser le lave-linge qui barricade la porte, et de s’enfuir à travers le sous-sol. Mais le souvenir de cet endroit glacé, sombre et plein de cachettes possibles la ramène à la raison. Adrian avait raison, la salle de bain reste plus sûre.
Lina tourne en rond dans le petit espace, évaluant ses possibilités. Shampooing, éponge, serviettes… Puis elle a une illumination. Elle hésite un moment à passer sous la lucarne d’où le grattement s’est fait encore plus acharné, puis prenant une profonde inspiration, elle traverse l’espace et s’agenouille près de la cuvette. Les vis de la lunette des toilettes ne sont pas trop serrées, elle parvient à dévisser les deux fixations et à retirer la lunette. Lourde, plate, encombrante, elle fera une bien piètre arme et difficile à manier, mais à défaut d’autre chose…
La jeune femme retraverse la pièce courbée en deux, sa trouvaille serrée contre elle, et regagne son recoin. Adrian, dépêche-toi…
Excellent ! et bien écrit en plus ! =)